« Dans chaque Américain, il y a un photographe…Si vous les rencontrez, ne vous étonnez pas de les voir courir le monde sans le regarder. Leur kodak est leur mémoire. »
François Reichenbach traverse les États-Unis en promeneur curieux, amateur éclairé qui butine l'insolite et l'anecdotique pour mieux capturer l'air du temps. Entre 1957 et 1959, son voyage de San Francisco à New York n’est ni une enquête ni un reportage exhaustif, mais un carnet de curiosités où chaque séquence révèle une facette d’un pays en mutation.
L'Amérique des rodéos, des fêtes foraines, des drive-ins, des campus universitaires, des rues bondées de New York, des meetings de jumeaux et des solitudes du Midwest défile devant sa caméra avec la légèreté d’une balade et la précision d’un entomologiste.
Reichenbach ne cherche pas l’essence d’une nation ; il collectionne ses signes, ses gestes, ses rituels. À travers son regard, l’Amérique des années 50 oscille entre modernité triomphante et mythes fondateurs. Ici, une poule joue aux quilles, là, des teenagers soufflent d’énormes bulles de chewing-gum avant qu’elles n’éclatent sur leurs joues, plus loin, un cheval plonge sous les yeux amusés des spectateurs. Une séance photo s’éternise, tandis que des enfants engloutissent d’énormes glaces, leurs visages ravis en disant autant sur l’époque qu’un discours politique.
Mais derrière l’amusement et l’ironie affleure une intuition plus profonde : et si ce mode de vie, avec ses excès et ses séductions, était celui qui attendait l’Europe vingt ans plus tard ?
Ni portrait idyllique ni critique à charge, L’Amérique insolite est une errance libre où chaque détour esquisse autant l’Amérique que le cinéaste lui-même. Un bric-à-brac fascinant, à la fois burlesque et troublant, qui ne cherche pas à expliquer mais à capter, avant qu’il ne soit trop tard, l’étrangeté familière d’un monde en train de naître.
Ce film, introduit par une lettre signée de Cocteau et sublimé par la musique de Michel Legrand, révèle toute la virtuosité de Reichenbach. Chaque plan est une trouvaille, d’une modernité étonnante, un jeu de cadrages et de lumières qui renouvelle le genre. Et que dire du dernier plan, d’une inventivité saisissante… À vous de le découvrir.